Les débuts, années 50 : « Les seules matières qui me permettaient d'avoir de très bonne notes, au lycée, étaient le dessin (car il fallait dessiner), et les sciences naturelles (car il fallait aussi dessiner). Dans toutes les autres disciplines, je me distinguais par mon obstination à m'accrocher à ce statut de joyeux cancre, années après années, redoublements après redoublements. Vers l'âge de 15 ans, poussé par mon professeur de peinture Auguste Clergeau (que nous avions gentiment surnommé « Gouachou »), j'achetai mes premiers tubes de peinture à l'huile, et décidai de devenir à la fois Cézanne, Gauguin et Van Gogh. Mes premières natures mortes furent brossées en écoutant Wagner. J'ai retrouvé, voila quelques années, mes premiers paysages dans le grenier familial. Des petits coins de l'ile de Ré, où nous passions toutes nos vacances. J'avais planté mon chevalet dans un jardin, au Bois plage, puis sur le port de Saint martin. Avec l'âge, je n'ai plus honte de ces peintures un peu gauches, que je regarde avec nostalgie. J'y retrouve toutes les odeurs de marée, de dunes, d'herbes et d'oeillets sauvages. michel détréAuguste Clergeau est entré dans l'histoire de l'Art de mon pays, et j'ai redécouvert avec émerveillement ses paysages de la Creuse sur internet et dans des ventes aux enchères.

En 1961 et 1962, à l'Ecole des Beaux Arts de Bourges, j'ai suivi les cours de sculpture de Marcel Gili. C'était un homme fort, souriant, passionné, imposant. Je l'admirais, sans savoir qu'il portait en lui son maître Aristide Maillol, ainsi que Henri Laurens, Robert Delaunay, Ossip Zadkine, Fernand Leger, Albert Gleises, Raoul Dufy, Max Jacob, Le Corbusier, Jean Cassou, Auguste Perret, avec qui il avait fondé, sous l'égide du peintre Saint-Maur, l'association artistique d'« Art Mural » en 1935. Après quelques années passées aux Beaux-Arts, je me retrouvais, comme beaucoup de peintres de cette époque, traînant à Saint-Germain-des-Prés. Comme Montmartre en 1900 et Montparnasse en 1925, Saint-Germain était le quartier en ébullition dans les années 60. Avec quelques amis rencontrés aux Beaux-Arts, je refaisais le monde artistique de bistrots en chambres de bonnes. Nous pensions que l'Art était partout et à la portée de tous. L'idée nous semblait plus importante que le résultat. Les idées, nous en avions 10 par jour. Certaines aboutissaient, d'autres, beaucoup d'autres, jamais. Ces réalisations finissaient en feu, ou bien sur le trottoir, attendant la benne à ordures. Car ces « oeuvres », dans nos esprits, n'étaient pas faites pour durer. L'Art Contemporain, qui ne s'appelait pas encore ainsi, avait déjà pris une place énorme et s'imposait parmi la création, entre le Pop'Art, l'Art cinétique et autres mouvements. Nous avions du mal à exposer, et d'ailleurs n'étions pas vraiment à la recherche d'une galerie. Au bout de quelques années, cette manière d'aborder la création nous entraîna, bien sûr, dans une impasse. Tout avait été dit ; tout avait été fait. Vers la fin des années 60, j'eu la chance de connaître quelques peintres américains qui reproduisaient une photo, quasi à l'identique à la peinture à l'huile, ou acrylique. En quelques semaines, j'avais trouvé le refuge, la sortie de cette impasse artistique dans laquelle je me trouvais. C'était le début du mouvement hyperréaliste, et je repris un immense plaisir à reprendre les pinceaux. La technique et seule la technique, débarrassée de l'idée même de création me redonnait la joie de peindre. Le défi était d'arriver à faire une reproduction presque parfaite d'une photo, en travaillant des jours, voire des semaines sur la toile.

Ma première exposition, à la galerie Axis, rue Guénégaud, à Paris en 1974, fut très bien accueillie. D'autres suivirent. Des commandes aussi. Mais le nombre de jours passés sur chaque peinture, ainsi que la sensation d'être rentré dans un procédé répétitif eurent raison de ma période hyperréaliste. Vers la fin des années 70, ce fut de nouveau l'impasse. Je me réfugiai alors dans l'illustration, moins prétentieuse à mes yeux que l'Art avec un grand « A ». Illustration et graphisme pour la publicité ou les journaux. Parallèlement, et pour gagner de quoi vivre, je restaurais des toiles sans grande valeur du 19 ème siècle, pour les brocanteurs et antiquaires de Paris. Malheureusement pour moi, beaucoup de peintres sortant des Beaux-Arts vivotaient eux aussi en se partageant ce marché assez réduit. Très intéressé par la verrerie du début du 20 ème siècle, que nous redécouvrîmes alors, j'appris petit à petit les techniques du verre, et ouvris mon premier atelier de restauration. Le seul restaurateur spécialisé venait de prendre sa retraite, et au bout de quelques années, je travaillais pour la presque totalité des galeries « Art Nouveau ». Ce qui me permit de vivre assez confortablement d'un métier que j'aimais pendant la quarantaine d'années qui suivirent. J'eu la chance de connaître les plus grands spécialistes du verre (Art Nouveau et Art Déco), et ainsi pu avoir entre les mains les plus belles pièces de Gallé, de Daum ou de Lalique. Dans les années 90, et parallèlement à mon métier de restaurateur, je me suis remis à peindre, dégagé de l'obligation de créer, de faire partie d'un mouvement, d'être coûte que coûte dans une recherche créative, d'être à l'avant-garde. Depuis une vingtaine d'années, ma seule ambition est de remplir une surface pour en faire une oeuvre décorative que l'on accroche au dessus d'un canapé et que l'on peut mettre à la cave au bout de quelques années. J'ai toujours aussi cet intérêt pour le verre. En association avec la « Verrerie d'Art de Soisy-sur-Ecole », je travaille maintenant pour moi, sur des vases ou des sculptures, avec comme seul but, là aussi, de produire des oeuvres décoratives sans prétention. Que le résultat de mon travail passe pour d'avant-garde ou d'arrière-garde, ne m'importe plus beaucoup.